Nous remontons depuis Mendoza en longeant la Cordillère. Sur notre route vers le nord, 2 détours se présentent. Le premier concerne le paso Agua Negra, col situé à plus de 4700 d’altitude qui offre des paysages lunaires. Nous ne souhaitons cependant pas passer du côté chilien et par manque de temps renonçons à ce formidable aller-retour. En revanche, nous décidons de prendre la route du paso Pircas Negras, fermé depuis quelques années. Là-haut, en direction du col, se situe la magnifique laguna Brava, site classé Ramsar (convention mondiale pour la protection des zones humides).
Un guide ?
Il se dit que la lagune ne peut se visiter qu’en présence d’un guide. Dans les faits, aucun document officiel ne semble en attester. La route d’accès au col passe au bord de celle-ci et était encore empruntée il y a peu, avant la fermeture du paso. Enfin lorsque nous traversions la région à vélo, nul ne mentionnait telle loi, que ce soit au niveau du poste frontière ou de la ville de Jaguë.
Nous pensons plus à une règle érigée par la communauté locale pour faire tourner le tourisme. Un peu comme lorsqu’on nous dira qu’un 4×4 est primordial pour accéder au balcon de Pissis, pourtant la meilleure piste que l’on ait prise depuis bien longtemps.
Bref, on laissera chacun se faire sa propre idée ! Au-delà de l’aspect purement économique, on apprécie prendre le temps de se poser, contempler, déambuler… Ce qui est souvent incompatible avec toute forme de tour guidé. On décide donc d’y aller par nos propres moyens.
Route depuis Villa Union
Le détour commence à Villa Union, où l’on refait les stocks d’essence et de nourriture. Nous sommes sur la fin d’après-midi, on aimerait passer Jaguë, le dernier village, avant la nuit. La route est entièrement asphaltée, on trace jusqu’au village de San José de Vinchina où par le passé un local aurait déjà exigé une taxe de passage (avant-goût de Bolivie ?), mais il n’y a personne. Idem, pas de contrôle de police pour savoir où nous allons.
Nous pénétrons ensuite dans un immense et magnifique canyon, la Quebrada Troya. Nous remontons peu à peu le rio Troya qui serpente au travers de ces imposantes falaises ocres. On s’arrête déjà à chaque virage pour prendre des photos tandis que des pick-ups nous recouvrent de poussière.



Passage au bord du minuscule village de Jaguë. Après celui-ci, on trouve la bicoque des rangers. Il semblerait que certains se soient vu refuser le passage sans guide, mais à cette heure, il n’y a de toute manière plus personne. On poursuit sur l’excellente route asphaltée et on retrouve les montagnes au travers d’un nouveau canyon coloré. La route laisse place à une plutôt bonne piste (du moins, lorsqu’elle est sèche) alors que la nuit commence à tomber.


On décide de s’arrêter au bord du refugio de piedra, une bicoque de pierre vieille de plusieurs siècles qui servit tant pour des bergers que des alpinistes. La piste n’a qu’une cinquantaine d’années, l’accès était bien moins aisé à l’époque et ces abris de fortune devaient être un véritable salut.

Nous sommes à 3600m d’altitude, l’altitude se fait déjà ressentir et dès lors que le soleil se couche, la température chute drastiquement. Nous dormirons plus ou moins bien…
On décide de se lever tôt, à 7h. Il pleuviote, ça caille comme jamais, une brume épaisse ne permet pas de distinguer à plus de quelques mètres. Autant dire que Camille n’est pas enchantée à l’idée de se lever !
2 véhicules passent sur la route et s’arrêtent à notre niveau. Ah, peut-être un local, on va se faire taper sur les doigts. Pourtant après quelques secondes, les voilà qui repartent. On ne traîne pas et on se met en route.
On rattrape les véhicules, qui nous saluent poliment. En réalité, ce sont des mineurs qui maintiennent la piste jusqu’à l’entrée de la mine, aux abords de la lagune Mulas Muertas. Ça tombe bien, après leur passage la piste est impeccable !
Tandis que l’on prend de plus en plus d’altitude, le brouillard laisse apparaître les reliefs. Le décor est déjà fantastique et la brume lui donne ce ton un brin mystique.



Seuls au monde
Au col à 4300m, on découvre la grande laguna Brava qui s’étend sur tout le plateau. Comme souvent sur l’altiplano, il s’agit d’eau salée, elle est donc bordée d’une croûte de sel blanche à l’apparence de salar (« désert de sel »), plus ou moins humide. C’est sa faible profondeur et le contraste avec la blancheur du sel qui lui donne ses tons colorés, presque pastel. C’est aussi ce qui attire les milliers de flamants roses qui la peuplent !



On fait un premier arrêt et on marche le long du salar. Il n’y a pas de vent, l’eau reflète merveilleusement les sommets qui entourent la lagune. Il n’y a aucun flamant de ce côté-ci, sans doute le niveau d’eau est-il trop profond par endroits. Plus loin gît la carcasse d’un avion qui se serait écrasé il y a bien des années. L’histoire dit qu’il transportait des juments et qu’on discernerait presque encore le corps de l’une d’elle. Dans le climat sec qui règne dans cette région, les végétaux et animaux morts ne se décomposent pas et finissent souvent momifiés naturellement.


On s’inquiète, aucun flamengo (« flamant rose ») à l’horizon ! On avait pourtant hâte d’en croiser, il ne manque plus qu’eux pour rendre le spectacle encore plus éblouissant. Peut-être de l’autre côté, nous gardons espoir.
On reprend le véhicule pour se rendre au bout de la lagune. Pendant notre petite balade, les mineurs sont passés sur la suite de la piste pour l’aplanir. C’est un peu hasardeux, il reste beaucoup de sable mouillé sur la piste, on passe limite par endroits, il ne faut surtout pas nous arrêter. Quand on voit l’état de l’ancienne piste à côté, on est plutôt soulagés qu’ils maintiennent celle-ci !

Surprise, au bout de la lagune la route est soudainement pavée. On ne l’avait pas vu venir celle-là, on peut continuer tranquillement sur la route en direction du paso. On revient sur nos pas et on se rapproche de la lagune en passant par un nouveau refuge de pierre, sensiblement identique au précédent. C’est en réalité le mirador principal pour observer les flamants roses qui se repaissent des algues présentes dans l’eau salée, on les aperçoit déjà au loin. A la mi-journée, l’orientation est parfaite pour profiter des tons pastel de la lagune. On prend le maté, on mange, on contemple longuement ce paysage somptueux, seuls au monde.




Ce n’est que lorsque l’on remonte à la voiture, en début d’après-midi, que l’on croise enfin des tours guidés. Un guide s’avance vers nous, on se demande si on va se faire disputer, pour avoir « brava(é) » de potentiels interdits. Loin de là, il nous fait la conversation, nous présente d’autres points de vue et nous donne quelques conseils si on souhaite s’aventurer un peu plus loin ou passer la nuit. Décidément, on est de plus en plus dubitatifs quant à cette histoire de guide obligatoire, d’autant que sur le retour on croisera plusieurs argentins monter seuls en famille.
Life on Mars
Adieu Brava, on décide de redescendre à Villa Union pour la nuit. Sur le retour, on découvre réellement la piste et les environs, masqués par la brume à notre arrivée. Les vues sont folles, la piste semble sculptée à travers la roche. A chaque virage on découvre de nouvelles couleurs : bleu, rouge, jaune… Toute la redescente est un pur décollement de rétine, on redescend de la planète Mars, Camille est en extase !







Saison et état de la route
La Brava est accessible essentiellement pendant l’été qui est aussi la saison des pluies. L’état de la piste peut grandement et rapidement varier en fonction de la météo. Même en saison estivale, on peut soudainement se retrouver bloqué par la neige d’où la nécessité d’étudier préalablement les prévisions !
La route est aux 2/3 asphaltée depuis Villa Union. La montée jusqu’à la lagune est en très bon état, le plus compliqué fut la piste qui longe la lagune. Il vaut mieux qu’elle soit sèche et que les mineurs soient passés avant, sans quoi ce serait infranchissable pour un véhicule normal. Tant que la mine sera en activité, la piste devrait rester en bonne condition.
Il nous a fallu environ 4h pour 176km depuis Villa Union pour atteindre le plateau. C’est faisable en une journée à condition de partir tôt.